Les chiffres clés
2. Avec un peu de recul historique, on observe que l'opinion publique a peu évolué sur ce sujet en une vingtaine d'années si on remonte à la polémique autour de l'usage du mot de « sauvageons » utilisé par Jean-Pierre Chevènement en 1999. En effet, 42% des Français trouvent le terme « d'ensauvagement » à « la juste mesure » du phénomène (contre 41% en 1999 à propos de « sauvageons »), 30% « pas assez dur » (contre 29% en 1999) et seulement 19% « trop dur » (contre 15% en 1999).
3. Jamais le bilan de l'action du gouvernement Macron en matière de lutte contre l'insécurité n'a été aussi mauvais aux yeux des Français : seuls un quart d'entre eux le jugent positif (27%), contre 32% en octobre 2019 et 41% en avril 2018. Et son action en matière de justice n'est pas mieux perçue dans l'opinion publique : 29% seulement des Français l'apprécient, contre 37% en 2018.
4. En terme de personnalités, les Français ne tranchent pas pour autant le duel entre les ministres de l'Intérieur et de la Justice qui obtiennent un niveau d'approbation strictement identique : autant de Français se disent proches des positions d'Éric Dupond-Moretti (19%) que de celles de Gérald Darmanin (19%), sachant que le reste des Français ne se reconnaissant ni dans l'un ni dans l'autre sur ces sujets (43%) ou ne se prononcent pas (19%).
5. Près des trois quarts des Français (73%) partagent le sentiment que globalement les juges en France « ne sont pas assez sévères », soit une proportion en hausse de 22 points depuis 2011 (51%). Et dans le détail, un quasi consensus apparaît pour dénoncer ce manque de sévérité en matière « d'agressions physiques contre les personnes » (86%) et « de crimes sexuels » (87%).
Les principaux enseignements de l'enquête
Sept Français sur dix (70%) jugent « justifié » l'usage de ce terme pour désigner l'évolution de l'insécurité en France, contre seulement 30% qui le trouvent « excessif ».
Sur ces questions d'insécurité, il y a donc un fossé entre une majorité de Français indifférents à l'égard des querelles sémantiques agitant le « microcosme » pour qualifier ces problèmes et une grande part des acteurs de la vie politique et intellectuelle qui ont pris leur distance envers un lexique popularisé par l'extrême droite.
Cette banalisation du mot « ensauvagement » au sein de l'opinion publique est une victoire sur le plan sémantique de la droite radicale sur les questions de sécurité, et ceci au regard d'une « hégémonie culturelle » tous les jours renforcée par l'écho qu'en donnent désormais les réseaux sociaux et les chaînes d'information.
Mais il est important de rappeler que l'adhésion de la population française à ce genre de termes « chocs » n'a rien de nouveau. A la fin des années 1990, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'intérieur, avait déjà suscité une polémique en taxant de « sauvageons » les mineurs multirécidivistes, provoquant alors un bras de fer avec la ministre de la justice, Elisabeth Guigou, sur la politique sécuritaire à mener par la gauche. Or, un sondage de l'époque montrait qu'il y a déjà 20 ans, seule une minorité de Français était choquée par le terme de « sauvageons » : 15% seulement le trouvait « trop dur », soit un chiffre très proche de celui que nous observons aujourd'hui pour « ensauvagement » (19%).
2) « Ensauvagement » : un terme est soutenu largement au-delà des rangs de la droite et de l'extrême droite.
Certes, c'est au sein des sympathisants du RN (83%) et de LR (85%) que l'on observe le plus de consensus autour ce terme, ce qui n'est pas surprenant vu leur traditionnelle sensibilité aux questions de sécurité mais aussi au positionnement offensif pris par les figures politiques sur ces sujets cet été (cf Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Marine Le Pen...).
Mais ce qui pourra apparaître à certains surprenant est que le terme « d'ensauvagement » recueille aussi l'approbation de la grande partie des sympathisants de la majorité présidentielle (85% chez les sympathisants LREM). Au regard du clivage qui traverse aujourd'hui le gouvernement sur ces questions, il est donc intéressant de souligner que seule une infime minorité des électeurs soutenant le parti au pouvoir partage le point de vue du Garde des Sceaux, mais aussi des autres ministres, qui, comme Nadia Hai (Ville) ou Emmanuelle Wargon (Logement), ont également vivement récusé cette expression.
Enfin, pour l'opposition de gauche qui a globalement rejeté ce terme, il est aussi important de souligner que ce dernier ne suscite pas une opposition de principe dans les rangs de ses électeurs. Au contraire, une majorité des sympathisants de gauche (54%) le trouve même justifié, avec un pic d'adhésion chez les sympathisants socialistes (59%) et écologistes (61%).
3) L'approbation massive du vocabulaire martial du Ministre de l'Intérieur est clairement une forme de désaveu pour la ligne défendue par Éric Dupond-Moretti. Si cet affrontement entre la place Beauvau et la place Vendôme n'est pas une nouveauté dans l'histoire de la Ve République (ex : Defferre / Badinter au début des années 80, Chevènement / Guigou à la fin des années 90, Vals / Taubira au début des années 2010...), il semble nécessaire de distinguer les choses entre d'une part la ligne politique et d'autre part les personnalités qui les incarnent au gouvernement :
Sur le fond du débat, l'approbation massive du vocabulaire martial du Ministre de l'Intérieur est clairement une forme de désaveu pour la ligne défendue par Éric Dupond-Moretti et plus largement une marque d'indifférence aux connotations de « racisme » accolées par certains à ce mot. D'ailleurs, le fait que dans notre enquête, le terme semble largement soutenu par les minorités (ex : musulmans) et les habitants des quartiers populaires - qui sont les plus exposés à ces violences d'après les enquêtes de victimation de l'INSEE - est le signe qu'il n'est pas perçu comme visant une catégorie en particulier. Le relatif consensus observé dans toutes les catégories de la population à son propos donne ainsi l'impression que pour les Français, qu'importe d'où vient le cri d'alerte, l'important est d'éteindre l'incendie.
Mais en terme de personnalités, les Français ne tranchent pas pour autant le duel entre les ministres de l'Intérieur et de la Justice. En effet, autant de Français se disent proches des positions d'Éric Dupond-Moretti (19%) que de celles de Gérald Darmanin (19%), sachant que les autres ne se reconnaissent ni dans l'un ni dans l'autre sur ces sujets (43%). Cela tient notamment au fait qu'une large part des sympathisants RN (63%) et LR (29%) refusent de prendre parti pour un macroniste, et ceci même sur le fond, ils désavouent l'impression de déni de la réalité qu'Eric Dupond-Moretti a donné en parlant de « sentiment d'insécurité ». Cela tient aussi sans doute à la difficulté qu'à Gérald Darmanin d'apparaître crédible aux yeux de cette frange de l'électorat.
4) L'insécurité, un des angles morts du macronisme...
Jamais le bilan de l'action du gouvernement Macron en matière de lutte contre l'insécurité n'a été aussi mauvais aux yeux des Français : seuls un quart d'entre eux le jugent positif (27%), contre 32% en octobre 2019 et 41% en avril 2018. Et ce jugement est encore plus sévère dans les rangs des sympathisants de droite et d'extrême droite, ce qui explique sans doute leurs difficultés à soutenir le nouveau premier flic de France.
Or, la lutte contre la délinquance reste au cœur des attentes des Français. Dans notre dernière enquête menée pour Directs.fr à l'occasion du second tour des élections municipales, la question de la sécurité des biens et des personnes se situait au deuxième rang des déterminants du vote (66%), juste derrière les questions de finance et de la dette (69%). A cet égard, quand on entend Xavier Bertrand dénoncer l'« immense faillite du quinquennat» sur l'insécurité, on comprend mieux pourquoi la droite tire aujourd'hui à boulets rouges avec un sujet qui, comme toutes les questions d'autorité, constitue un des angles morts du macronisme...
Etude Ifop pour Avostart réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 3 au 4 septembre 2020 auprès d'un échantillon national représentatif de 1 003 personnes âgées de 18 ans et plus.