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C’est avec une profonde émotion et tristesse que nous avons appris dans la soirée d’hier la disparition du Président Valéry Giscard d’Estaing.
Au nom du Sénat tout entier, je souhaite rendre hommage, dans notre hémicycle, à un homme d’État au parcours exceptionnel, qui a profondément transformé notre pays.
Valéry Giscard d’Estaing a occupé successivement les plus hautes fonctions de la République, à chaque fois très précocement. Secrétaire d’État aux finances de 1959 à 1962, il devient ministre des Finances et des Affaires économiques en 1962, sous la Présidence du Général de Gaulle, à seulement 36 ans, et le reste jusqu’en 1966. Il occupe de nouveau ce poste de 1969 à 1974, sous le mandat du Président Georges Pompidou, avant d’être élu à la Présidence de la République.
Valéry Giscard d’Estaing incarne alors l’avenir, le changement. Il admire profondément le Général de Gaulle, même s’il lui arrive d’avoir avec lui des désaccords politiques qui commenceront par le « oui, mais », se poursuivront avec la dénonciation de l'exercice solitaire du pouvoir. N’oublions pas son engagement en 1944 dans la 1ère Armée Française.
Candidat à l’élection présidentielle, il affronte les électeurs avec une image, celle de la modernité, un projet, la société libérale avancée, un slogan, le changement sans risque, et quelques belles formules comme : « Je voudrais regarder la France au fond des yeux. »
Il devient Président de la République à quarante-huit ans. Il entreprend une vaste politique de réformes. Valéry Giscard d’Estaing souhaite aller vers une démocratie renforcée, plus de libéralisme et faire entrer de plain-pied notre pays dans le monde moderne.
D'abord, pour signifier de manière symbolique un changement de style, l’injure au chef de l’État cesse d’être un délit.
Puis vint l’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel, changement capital dont même le susceptible Michel Debré admet dans ses Mémoires le caractère positif.
L’abaissement de la majorité à dix-huit ans.
La loi qui humanise le divorce en introduisant la notion de consentement mutuel.
La généralisation de la Sécurité sociale à tous les Français.
La réforme de l’ORTF : les organismes de radio et de télévision cessent, selon son expression, « d’être la voix de la France ».
La loi « informatique et libertés » et la création de la CNIL avec le rôle central d’Alain Poher.
La création d’un secrétariat d’État à la Qualité de la vie qui protège la nature et vise à endiguer l’urbanisation excessive.
La loi « sécurité et liberté » défendue par Alain Peyrefitte, réforme d’une autre inspiration puisqu'elle tente de rassurer une opinion publique inquiète des progrès de l’insécurité.
Il prend enfin un grand nombre de mesures en faveur des femmes : la création d’un secrétariat d’Etat à la Condition féminine conduit par Françoise Giroud, la contraception devient libre et gratuite. Mais c'est avec la loi sur l’interruption volontaire de grossesse, défendue avec tant de noblesse, de courage par Simone Veil, qu’il manifestera sa résolution et son indépendance politique.
Enfin, il institue au Parlement les questions d’actualité.
C'est un Européen convaincu qui accède à la magistrature suprême. Soutenu par le chancelier allemand Helmut Schmidt, il relance le processus européen. Il contribuera à créer le Conseil européen, qui permet aux chefs d’État et de gouvernement des neuf pays membres de la CEE de se réunir au moins trois fois par an pour un examen des dossiers communautaires. Et il fait adopter le principe de l’élection au suffrage universel des députés au Parlement européen, Jean Monnet reconnaîtra que l’institution de ce Conseil européen a été la création la plus importante après le traité de Rome. La désignation de Simone Veil comme premier président de l’Assemblée européenne à Strasbourg concrétisera l’influence et l’action de la France. Le rôle décisif qu’il jouera dans la construction européenne lui vaudra plus tard d’être désigné comme président de la Convention qui proposera une Constitution pour l’Europe.
Après son échec en mai 1981, il éprouve un sentiment d’injustice qu’il décrit dans son livre Le Pouvoir et la Vie.
Il revient en l’Auvergne où il va gravir à nouveau les échelons de la vie politique, la députation et jusqu'à la présidence du conseil régional.
La pensée de Valérie Giscard d’Estaing, telle qu'elle s'exprime dans Démocratie française, est une exhortation à l’apaisement politique par l’intelligence, un appel à substituer le dialogue au conflit, la négociation à la lutte. Cette inspiration vise à conjurer la fatalité de la bipolarisation.
Le Président Giscard d’Estaing était très attaché au bicamérisme. Il demeure le seul Président de la République à être intervenu au sein même de cet hémicycle, le 27 mai 1975, à l’occasion du centenaire du Sénat républicain.
À cette occasion, évoquant la Troisième République, il affirma : « plus circonspect que la Chambre, moins sensible qu’elle à la séduction des idéologies non encore éprouvées au contact des réalités, le Sénat a apporté dans la gestion des affaires publiques le concours de l’expérience et de la sagesse », déclaration qui demeure d’une grande actualité et comme un écho du discours de Bayeux.
Nous garderons tous le souvenir d’une personnalité d’une grande intelligence, d’un président moderne et réformateur, qui avait une vision pour notre pays, et, comme je le disais, d’un grand militant de la construction européenne.
À son épouse, à ses enfants, à toute sa famille et à ses proches, ainsi qu’à tous ceux qui ont partagé ses engagements et ses combats, je tiens à présenter les condoléances sincères et émues de chacun des membres du Sénat.
En ce jour ou notre assemblée va examiner les crédits de la mission outre-mer, je ne peux m’empêcher d'évoquer l'intérêt que portait le Président VGE aux outre-mer. Il fut ainsi le premier Président de la République à se rendre dans l'ile de Wallis ou encore celui du référendum sur l'indépendance des Comores qui a mené par la suite à la départementalisation de Mayote.
Je vous propose maintenant d’observer un moment de recueillement.